emanuel gat dance

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Le Figaro - Emanuel Gat chorégraphie une pièce prodigieuse au Montpellier Danse

© Julia Gat

Par Ariane Bavelier
Publié le 04/07/2017

Avec Tenworks (for Jean Paul) créé pour ses danseurs et ceux du Ballet de Lyon, le chorégraphe israélien célèbre une belle page d'histoire dans une pièce qui fera date au festival héraultais. Une manifestation qui s'achève le 7 juillet prochain.

« Tout ce que j'ai appris sur la vie, je l'ai découvert en chorégraphiant », dit Emanuel Gat. Le besoin de quitter son Israël natal pour s'installer en France à Istres avec sa femme et ses cinq enfants et poursuivre plus loin l'aventure chorégraphique. Et l'art aujourd'hui de faire palpiter les êtres au cœur de ses pièces.

Depuis trois ans, Emanuel Gat expérimente de nouvelles procédures de création qui éblouissent dans Ten works (for Jean-Paul). « Pour moi, une pièce chorégraphique est une conversation entre les interprètes. Ils ont des chiffres de 0 à 4 qui permet à chacun en le prononçant de changer la vitesse de la pièce. Ils connaissent tous en outre les parties des autres. Chaque variation est découpée en segments qui portent un nom et dont chacun peut faire varier l'ordre d'apparition en le criant aux autres pendant la danse. »

Ainsi le spectacle se crée à leur guise, chaque soir différent. « Il y a juste un compteur sur le côté de la scène pour mesurer la durée», explique le chorégraphe. La clé est que personne ne semble tâtonner ou improviser mais que chacun reste bien en prise avec cette drôle de conversation des corps qui apporte au spectacle une prise avec la vie d'une force et d'une fraîcheur remarquables.

Auparavant, Gat travaille avec les danseurs à établir le matériel chorégraphique en leur posant des questions. Imiter quelqu'un de leur connaissance ou autre. « Je ne note plus les questions. Je me suis aperçu que le faire figeait le travail sur les réponses dans un sens littéral. Maintenant, j'oublie vite de quoi on parle pour suivre les danseurs sur les mouvements qu'ils proposent, » dit encore Emanuel Gat.

« J'avais une vision très traditionnellement verticale de la chorégraphie : je signais 90% de la pièce et n'abandonnais aux danseurs que les 10% de l'interprétation »

Emanuel Gat

Le chorégraphe de 48 ans, a découvert la danse à 23 ans alors qu'il se destinait à devenir chef d'orchestre. Il se dit d'emblée frappé par la manière dont les corps dans un groupe créent en dansant ensemble un paysage visuel tout à fait comme un paysage sonore naît du jeu simultané des musiciens.

Aussitôt, il passe à la chorégraphie et signe ses premières créations en 2004 avant de choisir de s'installer en France en 2007 avec le soutien d'Istres, de la Fondation Bnp Paribas et de Jean Paul Montanari, directeur du festival Montpellier Danse. La musique reste dans son esprit primordiale mais non pas comme un carcan qui emprisonne la danse mais comme une composition parallèle qui la contamine, simplement parce que l'ouïe et la vue superposent leurs sensations.

« J'avais alors une vision très traditionnellement verticale de la chorégraphie: je signais 90% de la pièce et n'abandonnais aux danseurs que les 10% de l'interprétation. Aujourd'hui cela a bien changé et je compte bien appliquer le même processus de création abandonnant les vitesses et l'ordre des séquences aux musiciens et aux danseurs dans ma prochaine création dont je composerai une partie de la musique en plus de celle de Boulez. »

Un spectacle créé en trois semaines

Le Tenworks (for Jean-Paul) qui a enchanté Montpellier Danse a été créé en trois semaines, les danseurs d'Emanuel Gat mêlés dans les studios aux danseurs du ballet de Lyon. La pièce en dix séquences est dédiée à Jean-Paul Montanari qui a, en associant Emanuel Gat au festival Montpellier Danse, ouvert la porte à toutes ces recherches et permis de façonner ce style qui porte haut les beautés et les joies de la vie même.

À partir de la saison prochaine, Emanuel Gat sera également artiste associé à Chaillot. On voudrait que malgré ses 25 danseurs, ces Ten works puissent y être donnés de même qu'à la Biennale de la danse de Lyon. On n'a en effet rarement l'occasion d'assister à pareil chef-d'œuvre.

La pièce organise une succession de dix séquences allant du duo à la pièce pour 25. Le principe de la conversation comme principe de construction des séquences qui s'inventent à mesure, fonctionne à plein. D'autant plus que Gat donne comme règle de son drôle de jeu le respect des principes de la vie même. Les danseurs sont comme des planètes qui gravitent les unes autour des autres. Ils se touchent, se poussent mais ne s'enchaînent pas l'un à l'autre. Il y a simplement attraction ou répulsion, et, lorsqu'ils se mettent à l'unisson, ils vibrent sur des figures empruntées à celles d'un équilibre fragile, sans cesse en recherche de lui-même.

Le dialogue fait naître au sein du groupe des sous-groupes qui émergent et se fondent. La gestuelle fait feu des moindres détails, doigts qui pointent ou font les cornes, comme des grands jetés ou des tours attitude du ballet classique. Elle suit ou contrarie les directions prises par les danseurs qui forment des flux, les effacent, s'y dissolvent, inventent, surgissent. Le jeu de la conversation menée par 25 danseurs brillantissimes et complètement investis multiplie les formes inattendues, conjugue les sentiments les plus divers et laisse le spectateur bouché bée. Comme s'il voyait naître et s'effacer sous ses yeux, dans un jaillissement joyeux et foisonnant, le sel de la vie même.