Le Figaro - Montpellier Danse : chorégraphies au 36e dessous
L'ouverture de Montpellier Danse a été marquée par de belles créations, esthétiques mais sans enjeu. Le spectacle d'Emanuel Gat est en revanche éblouissant.
Jean-Paul Montanari, directeur de Montpellier Danse, a ouvert la 36e édition de son festival ce jeudi avec l'ambition de réfléchir sur des questions qui s'imposent au monde de la danse aujourd'hui. L'une concerne la Méditerranée où, de la Grèce à l'Algérie, en passant par l'Iran, la Syrie ou le Liban, uncertain nombre de propositions chorégraphiques émergent. Elles possèdent souvent une urgence et une singularité. Homme né sur ses rivages, Montanari leur donne à Montpellier droit de cité.
L'autre question concerne le destin des grandes compagnies européennes alors que les maîtres qui les ont fondées, Béjart, Forsythe, Kylian ou Mats Ek, ont chacun à leur manière tiré leur révérence. Plus précisément, Montanari programme en ouverture la Dresden Frankfurt Dance Company que Forsythe fonda lorsque l'Opéra de Francfort le mit à la porte du ballet en 2004. Et les 29 et 30 juin, le Cullberg ballet.
Comment succéder à Forsythe ?
Jacopo Godani dirige la première. Naguère danseur chez Béjart, puis, de 1991 à 2000, chez Forsythe, il lui a succédé en 2015. Godani a recruté quinze nouveaux danseurs pour créer The Primate Trilogy. Ils sont impeccables, avec, parmi eux, quelques personnalités. Ils servent le projet de Godani de « ramener la compagnie à la danse pure et authentique et montrer ce qu'on est capable de faire au niveau de la qualité, du physique, de la dynamique et de la virtuosité ». Reste que les meilleurs instruments du monde ne signent pas l'artiste. Est-ce un hommage à son maître ? Ou la réappropriation par l'interprète du matériau qu'il a contribué à créer naguère ? De la musique qui singe celle de Thom Willems, le compositeur fétiche de Forsythe, aux alignements etau pas de deux et variations qui citent le Forsythe du ballet de Francfort, aux costumes ou au questionnement de la représentation théâtrale signifiée par la chute du rideau de scène comme dans Artifact, on est dans une vile parodie de Forsythe. La danse est belle, mais sans enjeu et si peu prenante... Et la question revient plus lancinante : comment succéder à Forsythe ? Car les autres propositions du week-end d'ouverture du festival sont captivantes, mais ne règlent pas le problème des grandes compagnies.
Avec Sur le fil, l'Algérienne Nacera Belaza signe une performance de 45 minutes hypnotisante et magistrale. Trois danseuses lancées dans la pénombre tournent sur elles-mêmes tandis que la même phrase musicale se répète. Christian Rizzo signe avec Le Syndrome Ian sa première pièce comme chorégraphe-directeur du Centre chorégraphique de Montpellier. Il y traite du clubbing mettant en scène sur un dancefloor dix interprètes en chemise blanche et pantalon noir. Trois grands soleils de néons parachèvent un décor mouvant exploité avec maestria. Sa création, comme celle de Belaza, dessine un objet esthétique admirable, et habité par le démon de la danse, mais dont l'enjeu n'est manifestement pas l'écriture chorégraphique.
Israélien installé en France, Emanuel Gat signe un chef-d'oeuvre, SUNNY, sur la chanson de Marvin Gaye, autour de laquelle Awir Leon tisse en direct la trame musicale du spectacle. Gat reste fidèle à sa manière. Au-delà de la gestuelle qui évolue en liberté jusqu'à la virtuosité, un spectacle tient par les relations qui se créent entre les danseurs. Silences, déguisements, jeux, regards, fous rires trament tout un monde débordant de jeunesse et de gaieté. Le chorégraphe laisse tout cela fuser et impose l'air de rien des rythmes, des lignes et des suspens qui donnent sa cohérence à ce spectacle d'une légèreté jouissive. Et d'ailleurs, à quand une grande compagnie pour Emanuel Gat? » Montpellier Danse, jusqu'au 9 juillet.
Ariane Bavelier, 28 juin 2016