Créée à Montpellier Danse il y a deux ans, Works avait alors un autre aspect. Appelée TENWORKS (for Jean-Paul), hommage d'Emanuel Gat au directeur du festival, elle réunissait des artistes du chorégraphe et du Ballet de l'Opéra de Lyon pour un plateau fourni d'une vingtaine d'interprètes. La pièce a depuis pris son indépendance, s'est resserré en nombre de danseurs et danseuses (neuf sur scène quand nous l'avons vue pour cette chronique), est partie en tournée à travers le monde. Mais le principe est resté le même : une danse virtuose et complexe, comme une tornade, où la créativité d'Emanuel Gat se mêle à celles de ses interprètes. Et c'est à eux, profondément, que l'oeuvre rend hommage. "Works célèbre les danseurs et danseuses. Leur unicité, leur virtuosité, leur engagement, leur audace, leur sens des responsabilités et leur humanité", selon les mots du chorégraphe.
Sur scène, un mur gris et un petit compteur sur le côté, bloqué à 9 minutes. Puis déboulant sur scène neuf danseurs et danseuses, en un éclair, à l'énergie explosive et à la présence intense. Pendant 1h10, rien ne vient brider cette sensation de tornade, même si les différentes séquences ne se ressemblent pas. Avec Works, Emanuel Gat a voulu rendre hommage à ses interprètes. Il a donné des phrases chorégraphiques, des indications, des musiques, des directions. Ses danseurs et danseuses s'en sont emparé, les interprétant, les tordant parfois. Ils sont à la fois respectueux d'une partition et prenant de la place pour y imprimer leur personnalité ou improviser, sur le temps, le tempo, sur les rapports entre eux.
Cela leur donne comme une formidable matière à danser. Les six séquences qui composent Works ne se ressemblent pas, même si la matière chorégraphique en est la même. L'on démarre ainsi avec un mouvement d'ensemble éclatant de virtuosité, où la danse ciselée se déploie avec une rigueur comme une énergie folle. Puis place à quelque chose de presque narratif, plus dramatique, avant d'enchaîner sur un duo tout en sensualité, un solo qui tire sur l'absurde, ou un face-à-face je t'aime moi non plus. Pour la musique, Richard Strauss et la voix de Jessye Norman, Nina Simone, Bach ou de l'électro se passent le relai.
Mais l'on est loin de l'impression du zapping. Au contraire, la danse est on ne peut plus entière, matière vivante qui s'exprime de façon différente selon qui s'en empare. C'est d'une écriture riche et surprenante, signature de la danse d'Emanuel Gat. L'on oscille ainsi entre une gestuelle purement contemporaine qui s'ancre au sol, des développés secondes aux lignes à faire pâlir d'envie une ballerine classique ou des moments plus inspirés du hip hop. C'est en tout cas instinctif, solaire, presque drôle parfois, avec une sensation d'intimité face à un groupe resserré, qui se dévoile au fil des séquences. Les duos ne sont pas que deux corps qui s'opposent ou s'adaptent, mais aussi deux personnalités qui se toisent, se fouillent. À chacun, au cours de la pièce, de prendre la responsabilité du mouvement. La barrière entre ce qui est écrit et la part d'improvisation est aussi volontairement floue : c'est ce qui permet d'osciller en permanence entre l'instinct de la danse et la complexité d'une écriture pensée et choisie. Works pourrait se voir comme une pièce signature d'Emanuel Gat, résumé de son regard sur la danse et sur ses danseurs et danseuses. C'est avant tout une bonne heure de danse jubilatoire et percutante.
Works d'Emanuel Gat par la Emanuel Gat Dance à la Maison de la Danse. Créé en collaboration avec et interprété par Thomas Bradley, Robert Bridger, Péter Juhász, Emma Mouton, Michael Löhr, Eddie Oroyan, Genevieve Osborne, Karolina Szymura, Milena Twiehaus et Sara Wilhelmsson. Mercredi 9 octobre 2019. À voir du 8 au 11 janvier 2020 au Théâtre de Chaillot, le 28 janvier à la Scène Nationale du Sud-Aquitain de Bayonne.
Ecrit par : Amélie Bertrand
10 octobre 2019