Au Théâtre de la Ville à Paris, le chorégraphe présente un spectacle autour de Glenn Gould
En slip et en chaussettes! Sous une lumière éblouissante qui fait briller la peau et oblige à s’essuyer régulièrement le visage pour ne pas dégouliner, The Goldlandbergs, chorégraphié par Emanuel Gat, à l’affiche du Théâtre de la Ville, à Paris, donne un coup de chaud.
Cette ambiance solaire, surprenante au regard de pièces récentes de Gat, plutôt amateur de pénombre douce, colle à l’esprit ludique et malicieux de ce spectacle pour huit interprètes. Tantôt sautant comme des cabris, tantôt se glissant à quatre pattes sous unpartenaire, causant et batifolant jusqu’à grimper les uns sur les autres dans un méli-mélo de jambes et de bras, ils circulent d’un bord duplateau à l’autre avec une désinvolture élégante.
Bonheur d’être en scène, de jouer avec une conduite spectaculaire qui laisse apparemment (un peu) libre aux entournures. Est-cele parti pris musical déstabilisant qui a induit cette fantaisie chez Emanuel Gat? Epris de partitions fortes, claires et structurées de Mozart ou de Schubert mais aussi de John Coltrane par exemple, il a cette fois tramé des sources sonores à première vue dépareillées qui se frottent et se crispent même parfois. Leur point commun:Glenn Gould (1932-1982). D’un côté donc, des enregistrements collectés par le musicien dans les années 1970 pour Radio Canada, qui juxtaposent des cantiques, un témoignage sur une communauté mennonite, des ambiances vocales énigmatiques…; de l’autre, des séquences de Variations Goldberg de Bach dans l’interprétation de Gould. Ces couches insolites perturbent la vision du spectacle en dégageant des ouvertures spirituelles, contrebalancées par la vie qui va et vient sur scène. Ce télescopage façonne un prisme de sensations contrastées au gré de ce qui finit par ressembler à un mini-panorama philosophique sur les activités humaines. Une fois encore, observer l’écriture gestuelle d’Emanuel Gat est jouissif.Chez lui, la chorégraphie a tout d’un organisme vivant qui se faufile sur le plateau pour contaminer les corps et leur faire prendre des formes qui se relayent les unes les autres.
Comme une tache d’huile qui glisse, se décompose et se recompose autrement mais dans une même énergie, le mouvement est sans cesse reconduit. La lumière aussi, qui se dilate en jaune ou se rétracte en blanc. Une nuance particulière dans The Goldlanbergs: Gat laisse non seulement la porte ouverte aux humeurs, mais il incruste sa danse dans des situations presque quotidiennes qui suspendent son cours. Le regard alors des interprètes rejoint celui des spectateurs pour cueillir leurs partenaires dans des bulles de rêverie. Figés, ils contemplent les autres entrain d’exécuter telle ou telle scène. Ils font alors vibrer l’espace, déjà extrêmement sensible chez Gat, le strient de lignes invisibles tout en soulignant la beauté du vide. Pour cavaler de plus belle.
A l’affiche pour la seconde fois en deux ans du Théâtre de la Ville –ce qui est toujours une manière de reconnaissance de la stature d’un artiste –, Emanuel Gat a fait un bond depuis sa première apparition en France, en 2003. A l’enseigne du Festival Uzès Danse, alors dirigé par Didier Michel, ce chorégraphe israélien venu tard à la danse, à l’âge de 23 ans, s’était distingué en décidant, en pleine crise des intermittents, de danser Ana waEnta, pièce sur le mariage entre deux hommes, et s’en était expliqué ainsi : « Ce spectacle est celui d’un artiste israélien qui travaille dans son pays avec des Palestiniens. Son combat est celui de la liberté. Assurer la représentation est une manière de la soutenir.» Un an après, il revenait avec une version salsa enlevée du Sacre du printemps de Stravinski. Sa soif contenue de lyrisme, son sens du dessin dans l’espace, soufflés par de grandes partitions musicales, ont désormais tracé sa route.
Soutenu depuis 2008 par le Festival Montpellier Danse et son directeur Jean-Paul Montanari, il en a été l’artiste associé en 2013, ouvrant l’édition avec The Goldlandbergs. Il y est de nouveau à l’affiche en juin, avec Plage Romantique. Tout un programme!
Rosita Boisseau, 28/03/2014
The Goldlandbergs d’Emanuel Gat.
Théâtre de la Ville, Place du Châtelet, Paris 4e. Jusqu’au 29 mars.
En tournée, le 16 et 17 avril, Maison de la danse, Lyon.
Plage Romantique. Création.
Festival Montpellier Danse du 26 au 28 juin.