VARIATIONS
Artiste associé cette année au festival héraultais, le chorégraphe israélien présenteu ne exposition de photos et trois créations, dont « The Goldlandbergs », une sorte de conversation d’après Bach avec le pianiste Glenn Gould.
La première fois que l’on a vu Emanuel Gat, c’était en 2004 à Uzès. Sa version du Sacre du prin- temps, trop ampoulée, n’avait guère convaincu. Depuis, il a vite progressé, notamment avec Bril- liant Corners, en 2011 à Montpellier Danse, où il révélait sa formidable capacité à donner le champ libre à un groupe de danseurs, comme s’il s’agissait d’autonomiser un corps de ballet.
Né en 1969 à Hadera, en Israël, il réside depuis 2007 à Istres où il dirige la Maison de la danse intercommunale. Ancien sportif, il étudia tout d’abord la musique à la Rubin Academy of Music, pour devenir chef d’orchestre. Mais à 23 ans, après son service militaire, il s’oriente vers la danse en suivant l’enseignement de Liat Dror et Nir Ben Gal, des chorégraphes non académiques qui n’ont rien à voir avec la Batsheva Dance Company de Ohad Naharin, beaucoup plus néoclas- sique.
Pinceau.
Si on retrouve Emanuel Gat cette année au cœur du festival Montpellier Danse en tant qu’artiste associé, c’est qu’il a plusieurs cordes à son arc et que la qualité de ses spectacles est indéniable. Il propose ainsi quatre créations - trois chorégraphies et une expo de photos. La première, The Goldlandbergs, est une conversation avec le compositeur et pianiste Glenn Gould, sur le thème du sacré. Comme s’il réécrivait sur sa pièce précédente, selon le principe du palimpseste, Gat compose d’abord pour l’ensemble des huit danseurs. Eclairés par des lumières qui les font ap- paraître ou disparaître, les interprètes sont ici comme peints. On ne voit guère leurs visages, ils sont tenus à distance de la peinture. On entend Glenn Gould, qui créa en 1977 The Quiet in the Land, documentaire radiophonique pour la société Radio-Canada, un des volets de son triptyque la Trilogie de la solitude. Il y est question d’une communauté mennonite protestante de Red River et du rapport que les hommes entretiennent avec le sacré, la religion et ses lois. Le chorégraphe part lui aussi de la communauté pour ensuite écrire des trios, des duos destinés à mieux cadrer les détails du tableau.
La lumière agissant comme un pinceau qui vient éclairer le geste, ou bien l’effacer, Emanuel Gat est autant un peintre qu’un metteur en scène ou chorégraphe. Il souligne ce que l’on pourraitne pas voir : une main, un pied, un saut. Sans maniérisme. Ce qui progressivement devient des variations, en accord avec les Variations Goldberg de Bach jouées par Glenn Gould, est raffiné. Emanuel Gat ne laisse rien au hasard. En simples slips, les danseurs et danseuses s’emparent du plateau pour le transfigurer. Ils deviennent des icônes. Tout est transcendé, sans doute grâce à la voix et aux notes si finement perlées de Gould. Les interprètes sont cernés par une boîte de lu- mières qui plonge sur eux et qui, à la fin du spectacle sur un aria, descend des cintres pour mieux les brûler. Faute de travail du dos, de désaxements, la danse est délibérément debout et on est ravi par les adages de duos et par la ferveur qui envahit la salle. Rien de religieux, mais Emanuel Gat a de toute évidence un rapport fort au sacré.
LAngage.
Egalement visible à Montpellier, l’expo de photos qui retrace en partie le processus de travail est de la même teneur. Dans une salle obscure, l’ancienne chapelle du couvent des Ursulines, deve- nu Centre chorégraphique national et Agora de la danse, les images invitent à la méditation. Gat a photographié et mis en valeur les corps, la peau et la relation entre les hommes. Une fois de plus, il pourrait s’agir de peintures qui cernent des épaules, des visages neutres ou interrogatifs. Dans l’expo «It’s People, How Abstract Can It Get ?» Gat ne fait pas des photos de danse mais de gens emportés par leur danse. Au plus proche de la réalité du plateau, les clichés révèlent ce qui ne peut apparaître à l’œil nu dans un spectacle : le vide, la solitude, la concentration, l’hésitation et la détermination.
Dans son parcours «UpcloseUp», encore pour Montpellier Danse, Emanuel Gat propose aussi Corner Etudes, où le public pourra se tenir à quelques centimètres des interprètes. Quatrième création, enfin, Danses de cour sera l’occasion d’inventer un langage spécifique au lieu, la cour de l’Agora des Ursulines, à partir de fragments de chorégraphies existantes. Sous les arcades et dans tous les recoins d’un espace que l’on traverse sans y prêter attention, le spectacle donné un seul soir sur les Wesendonck Lieder, de Wagner, ne devrait pas laisser indifférent.
Marie-Christine Vernay, envoyée spéciale à Montpellier
Emanuel Gat Corner Etudes les 1 et 2 juillet, Danses de cour le 5 juillet, exposition jusqu’au 29 juin.