Sunny, nouvelle pièce au répertoire de la compagnie Emanuel Gat a été créée dans le théâtre de l’Agora, le 25 juin au festival Montpellier Danse. Dans la lignée du travail délicat amorcé par l’artiste installé à Istres, le spectacle comprenant un dj live d’Awir Leon (aussi danseur de la compagnie), ouvre une réflexion gigogne sur le processus de création chorégraphique.
Sur la scène de plein air balayée par une légère brise, les dix danseurs vont au gré des notes d’une cover electro de Sunny, titre musical sur la résilience après la mort, composé dans les années 60 et dont la version disco a souvent fait oublier le sens initial. Derrière sa console, Awir Leon pose les bases d’une création sonore mélancolique, sublimant au micro les mouvements des danseurs tout à leur art. L’effet de vases communicants reflète la mise en abyme du processus créatif, s’abreuvant sans cesse des éléments qui l’entourent et du mouvement virtuose. Presque plastique, l’esthétique de Gat fonctionne dans ce circuit clos convoquant le souvenir de ses pièces antérieures (on retrouve des pans de Plage Romantique), à la façon des peintres impressionnistes reproduisant à l’infini le même motif.
C’est dans ce registre que le chorégraphe excelle: par l’exploration d’une danse si gracieuse qu’elle en devient parfois irritante, par son consensus. Un phénomène particulièrement visible dans Sunny, véritable métaphore filée de la foi comme optimisme voltairien assumé. Dès lors, la dynamique de groupe, façon expérimentation en workshop, fascine le regard, tant l’interprétation s’imprime dans chaque parcelle du corps de danseurs évoluant par la circulation d’une énergie indéniablement sublime. Les visages correspondent les uns avec les autres, les bras et les jambes se répondent naturellement, par un jeu de miroir qui n’est autre qu’un développement du concept de l’altérité. Fait rare pour être souligné, ils se tournent aussi vers le public.
Sunny coule donc calmement, sans vague ni ensauvagement, même lorsque qu’Awir Leon pousse sur la table de mixage des sons qui demanderaient à être davantage exploités au plateau. Son dj live double le travail scénique d’une dimension merveilleuse, qui donne de l’ampleur au récit initiaque de la pièce. Avec lui, Gat peint un tableau dont la douceur se craquelle parfois, offrant des fulgurances intéressantes et inédites. Un passage porté par les basses du dj se fait d’ailleurs en costumes chamarrés contrastant enfin avec l’esthétique pastel d’une publicité American Apparel certes plaisante, mais d’un déjà vu inouï.
Cette création a donc le mérite d’intégrer habilement à la compagnie cinq nouveaux danseurs plein de grâce et un live electro plein d’élan, qui racontent sur la pointe des pieds la difficulté de créer, d’engendrer une forme mouvante dans la chair et l’espace. Cette mise en abyme perpétuelle s’ajoute à la collection de pièces signées Emanuel Gat, toujours très attentifs aux détails minuscules, invisibles au regard balayant sans sensibilité le réel. On peut évidemment reprocher à l’artiste cette redondance dans le mouvement choral, mais la qualité du travail chorégraphique l’emporte finalement.
Incarnée par une troupe flirtant avec le divin, Sunny joue avec une matière éphémère, impossible à figer dans le temps. Véritable petit conte philosophique dansé, la pièce renvoie invariablement au proverbe populaire éculé « après la pluie, le beau temps », qui n’augure rien mais véhicule une foi à toute épreuve.
Géraldine Pignault, 26 juin 2016